Etiomédecine? Présence et encore Présence
Un soin d’école:
- Tu peux me traiter s’il te plaît ?
- Bien sûr, on y va. Installe-toi.
Je ne suis pas en présence depuis plus de quelques secondes quand je commence à ressentir une gêne sur un hémi crâne, comme un voile sur un œil avec quelques phosphènes projetés comme par je ne sais quel stroboscope de discothèque que serait devenue la pièce où je pratique. Quelques secondes supplémentaires et cette sensation diffuse sur l’ensemble du crâne comme un brouillard envahit un champ de vision. Si je me lève là, est-ce que je tiens en équilibre ? Parce que ça tourne légèrement aussi. Et si j’ai à lui parler là tout de suite, n’aurais-je pas l’air d’avoir bu, ou m’exprimerai-je avec cette sensation qu’on a en sortant de chez le dentiste, que de l’eau bue maintenant coulerait du coin de ma bouche ?
À ce moment du soin à peine entamé, la seule évidence qui vient est que si ce ressenti n’est pas ce que mon patient rayonne de la souffrance qui l’encombre et qu’il partage là, maintenant… je suis en train de me faire un « truc » neurologique ou un accident vasculaire cérébral.
De toute façon, si c’est ça, c’est acté! Et puis j’ai encore une chance d’autant que le patient sur la table est médecin et les urgences pas trop loin.
Si « l’information » vient du patient, ça devrait passer comme, sur la route, on sort de la nappe de brouillard qu’on a traversée ensemble.
Dans ce genre de circonstance, la pire chose, c’est la panique car elle signerait l’arrêt d’un soin en nous laissant tous les deux dans une impasse ou plutôt dans un vortex, un genre de sur-accident comme quand celui qui tend la main pour aider, choit faute d’appui, dans le gouffre avec le naufragé qu’il a voulu secourir.
L’urgent est donc de ne rien décider et d’attendre avec une présence d’autant plus accrue. Je ne dis donc rien; on verra bien.
Finalement le soin évolue jusqu’à son terme et nous finissons tous les deux apaisés comme des nouveau-nés.
Puisque c’est ainsi, on va fêter ça… je précise qu’on se connaît déjà.
Et rejoignant mon épouse qui connaît la méthode, pour un petit apéro bien mérité, je lui raconte un peu le déroulé des sensations, sans bien sûr rien dévoiler des informations elles-mêmes.
… Quel n’est pas mon intérêt quand elle fait remarquer à mon désormais plus-patient puisque nous en sommes au partage… d’une bouteille, qu’il lui a fait part l’avant-veille de tous ces ressentis qu’il traîne depuis deux ans.
Et quel n’est pas mon amusement quand mon zig se tape sur le front « bon sang mais c’est bien sûr, j’avais complètement oublié de te le dire.»
Bon, je suis quand même « un peu » habitué depuis presque trente années maintenant que j’exerce de cette manière. Rodé même plus qu’habitué, à des situations très lourdes, au point que quand j’entends un thérapeute qui n’a de souci que de se protéger, je lui suggérerais bien tout simplement de changer de métier.
Là, ce qui est extraordinaire, c’est qu’on ne peut prétendre, insinuer ou suggérer qu’il y ait une quelconque induction, manipulation, projection, prière ou incantation… ni même placebo! (D’aucuns peu au fait de l’argument « quantique » même s’il est discutable, diront que le placebo réside dans la seule présence du thérapeute mais qu’en est-il alors du simple fait de dire qu’on fait une étude clinique ? L’effet placebo est déjà en amont de l’administration d’une molécule qu’elle soit de l’eau sucrée ou autre chose.)
Quant au résultat de ce soin, il dépend bien sûr des libérations que notre ami va percevoir dans sa relation à la vie et des changements qu’elles vont engendrer. Cela n’est plus de mon ressort et j’espère que cela lui aura été d’une quelconque utilité.
Je et quelques rares autres de ma connaissance, vivons ça tous les jours depuis tellement d’années maintenant, c’est notre quotidien; c’est la part qui nous incombe dans la relation au patient que suppose cette thérapie d’accompagnement. Et c’est la part qui incombe à tout praticien, en étiomédecine ou ailleurs, dès lors qu’il a dépassé le stade des protocoles et recettes derrière lesquels trop s’abritent avec un tas de prétextes plus ou moins fumeux pour justifier d’une incapacité à être suffisamment présent, souvent par peur : c’est tellement tentant d’avoir l’aura d’un soignant ou d’un thérapeute sans jamais en prendre le risque, en restant dans la « distanciation » qui en matière de partage, condamne le soin et abuse le soigné dans des leurres de thérapie qui consistent à chercher pendant des années « pourquoi » il ne vit pas, années pendant lesquelles… il ne vit toujours pas dans l’attente de la fameuse réponse qu’il dit connaître « depuis le temps qu’il travaille dessus et qu’il a tellement avancé »… tout en ne vivant toujours pas.
Mais j’entends que vous voyez de quoi je parle.Comme ces gens qui signent des bouquins qu’ils ont fait écrire par d’autres, comme tellement qui construisent une popularité en disant ce que les gens veulent entendre et en condamnant avec virulence ce qui déplait ou fait peur ; c’est qu’il y en a des héros dans le camp des plus nombreux.
Un soin en étiomédecine, mais dans n’importe quelle thérapie d’accompagnement, consiste à permettre à un patient de soulager une charge de souffrance qui l’encombre à des niveaux divers. Et on doit pour cela lui permettre de la partager bien au-delà de la simple xème narration verbale afin qu’il se sente com-pris ; ce n’est que là qu’il lâche.
Mais pour ça, il faut accepter de la recevoir autant que faire se peut… et non la refouler en occultant des symptômes par quelque artifice que ce soit, ou en ne s’impliquant pas, pour ensuite jouer les sauveurs… totalement étrangers et innocents quant aux ultérieures récidives aggravées.
Ce soin-là était un cas d’école, d’école d’étiomédecine véritable comme la pratiquait celui qui l’a créée.
Et c’est vrai que cela demande un certain courage que personne n’est tenu d’avoir au demeurant, et il y a un tas d’autres métiers fascinants.
Mais l’étiomédecine du Dr Brinette, elle est :
Une ouverture affective au patient et en cela, elle est… sans filtre.